La COVID-19 a entraîné des changements majeurs dans les milieux de travail, bien que ces derniers étaient déjà en lente mutation. Prêtes, pas prêtes, la plupart des entreprises ont dû se convertir au numérique afin de permettre à leurs employés de travailler à la maison en toute sécurité (informatique et physique). On a jasé de retard technologique, de main-d’œuvre, d’économie et d’adaptation avec un spécialiste en transformation numérique : Mehdi Benboubakeur, directeur général du Printemps numérique.
La pandémie aura été pour la plupart des entreprises une occasion de mettre à niveau les compétences informatiques. Est-ce que vous constatez un retard général au sein des entreprises québécoises en matière de technologie?
La transformation numérique, le mot le dit, c’est une transformation. Pour certains secteurs, qui sont déjà dans des milieux plus créatifs et ouverts à l’expérimentation, la transition s’est faite plus naturellement. Par contre, plusieurs n’étaient pas prêts et n’avaient pas les outils et les processus en place. Ce n’est pas nécessairement une question de retard, mais bien d’adaptation. Beaucoup ont bien réagi. La pression engendrée par la situation exceptionnelle a fait en sorte qu’il a fallu qu’on se bouge et qu’on procède à certains changements structurels.
Est-ce qu’il y a des enjeux de sécurité? Certainement. Les technologies elles-mêmes n’étaient pas entièrement prêtes à cette grande montée en charge. On se souvient de Zoom qui a eu des bogues majeurs en termes de sécurité. La situation était très inattendue et a pris des proportions exponentielles. Toutes les rencontres ont dû être transposées en virtuel. On a dû utiliser des outils qui n’étaient pas complètement sécuritaires ou complètement maitrisés.
Le télétravail a poussé des entreprises à revoir leurs processus d’affaires. Dans les domaines où la question des droits d’auteurs entre en ligne de compte comme le cinéma ou les jeux vidéo, c’était inconcevable que des gens travaillent de la maison parce que les enjeux de sécurité sont énormes. Mais parce qu’on n’avait pas le choix, on a dû le faire et sécuriser les façons de faire. Avant tout ça, on ne voyait pas l’urgence de faire ce changement de culture. Donc, dans ce cas précis, c’est certain que la pandémie a accéléré les choses.
Il ne faut simplement jamais oublier que le numérique est un outil et que l’un des objectifs de l’utilisation des technologies, c’est d’augmenter la rentabilité, la précision et l’efficacité. Il faut trouver l’équilibre entre le travail à distance et le présentiel. Les rencontres d’équipe sont essentielles au bien-être de certains types de personnalité. Le bon sens doit toujours primer.
Croyez-vous que les avancées technologiques et l’intelligence artificielle pourraient pallier le manque de main-d’œuvre en automatisant certaines tâches actuellement réalisées par des êtres humains?
On a vécu plusieurs transformations du monde du travail au cours de l’histoire. Sauf qu’historiquement, on avait du temps pour s’adapter au changement. Si on prend par exemple la révolution industrielle, ça a pris du temps : le temps nécessaire pour le forgeron de se rendre compte que son métier est appelé à changer et que ce ne sera pas un métier d’avenir pour ses enfants.
C’est la même chose avec le numérique… sauf qu’avec le numérique, on n’a pas le temps qu’on avait avant. C’est l’idée de la technologie en elle-même. Une révolution basée sur les données et sur des processeurs, soit sur des capacités de traitement beaucoup plus performantes que notre cerveau.
Peu importe l’époque, la résultante n’a jamais été la disparition des humains, mais bien un changement de leurs tâches et de leurs fonctions. Rappelons-nous qu’il faudra toujours l’intelligence humaine pour superviser la machine. Enfin, pour l’instant!
Est-ce que vous croyez que les difficultés économiques que vivent les entreprises en raison des défis actuels peuvent être un frein à un virage numérique efficace?
Les réponses les plus courtes sont les réponses les plus faciles : ça dépend. Ça peut être une difficulté d’aller chercher du financement pour des infrastructures technologiques, de là le rôle des gouvernements et des institutions financières. Quand on parle de 4.0, le financement nécessaire est considérable, mais au Québec, c’est une priorité qui a déjà été identifiée. On est en bonne position comparativement à d’autres pays.
Quand l’économie va mal, on investit dans les routes et les grands chantiers… mais ce serait important de faire pareil avec la technologie. C’est un secteur qui peut être générateur de richesse et qui peut stabiliser l’économie beaucoup plus rapidement.
Quant à la modification du modèle d’affaires, comme la vente de produits en ligne plutôt qu’en boutique, certaines entreprises auraient dû investir et faire plus, plus vite. Plusieurs, dans le commerce de détail, se sont vus obligés de mettre la clé sous le paillasson alors que s’ils avaient fait ces changements avant, ça aurait été différent. C’est malheureusement la réalité du marché. Le financement est le talon d’Achille, mais il est plus que temps de mettre la transformation numérique sur sa liste de priorités.
À propos du Printemps numérique
Le Printemps numérique est un organisme à but non lucratif dont la mission première est la démocratisation des enjeux liés à la transformation numérique. Ce dernier opère deux grands chantiers : le volet professionnel et le volet jeunesse (Jeunesse QC 2030).
Le projet Jeunesse QC 2030, en collaboration avec le Secrétariat à la jeunesse, a été déployé dans dix régions du Québec l’an dernier. Ce projet vise à contribuer à établir une égalité de chances chez les jeunes de 13 à 29 ans en soutenant le développement de compétences en littératie numérique, et ce, via une multitude d’activités. Ayant remarqué un déficit énorme en matière d’équité hommes-femmes dans le domaine du numérique, l’organisme, dans le cadre de ses actions, contribue à créer un intérêt pour le numérique chez les jeunes femmes. Le manque de femmes pose non seulement une problématique d’équité, mais aussi de créativité. Des activités ont aussi été menées auprès de jeunes des Premières Nations. Bref, le volet jeunesse du Printemps numérique est un outil inestimable pour préparer la relève et se préparer à la fracture numérique constatée entre différentes catégories de population.
MTL connecte est pour sa part un événement à portée internationale de conférences, de réseautage et d’expériences qui vise à créer des ponts entre les acteurs et les professionnels des différentes sphères du numérique, par exemple l’intelligence artificielle, la cybersécurité et le développement durable. L’un des objectifs visés par MTL connecte est la création de maillages afin que les technologies transitent d’un secteur d’activité à l’autre. Pour une première fois 100 % en ligne, l’édition 2020 a rassemblé 11 900 participants de 87 pays. Ultimement, on souhaite positionner Montréal et le Québec comme un pôle numérique majeur à l’échelle mondiale.
Entretien réalisé par
Marie-Pascale Fortier
Coordonnatrice aux communications
En collaboration avec
Aurélie Provot
Consultante en ressources humaines